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D’UN JEUNE HOMME PAUVRE.

Pourquoi aller voir ceux-là ? pourquoi aller voir les autres, ceux qui ne sont venus que pour mourir ? Pendant dix ans, ils ont gardé suspendu un point d’interrogation dans leur estomac creux. Mangerai-je aujourd’hui ? mangerai-je demain ? Ils ont cru que la faim ne mordrait pas sur leur santé parce que la fièvre les soutenait, colorait leurs joues pâles, allumait leurs yeux noirs ; ils ont ri au nez de la misère, et elle s’est vengée. Ils ne pourraient même plus se traîner jusqu’au parloir, et pour causer avec eux du temps passé, pour écouter leurs suprêmes paroles, le jour est mal choisi. Il faut au mourant qui murmure la sainte majesté du silence. Et dans ces salles si tranquilles va tout à l’heure entrer avec fracas une foule banale. Sur le parquet jaune vont se traîner, en le rayant, les souliers ferrés de l’ouvrier et les sabots du paysan ; triste refrain pour un De Profundis.

Il ne fait pas bon mourir le dimanche.

Les églises elles-mêmes n’ont plus l’aspect solennel du temple, où venaient s’agenouiller dans l’ombre les Madeleines. Il y a bien des coquettes et bien des indifférentes ; seule la Charité veille aux portes. Les dames quêteuses tendent de leur main blanche la bourse à glands d’acier ; je laisse tomber un sou dans l’aumônière. Le suisse, qui joue avec le fer de sa lance, me jette un regard de mépris.

En sortant de la messe, quelques femmes vêtues de noir se réunissent et prennent le chemin du cimetière ; elles vont pleurer sur des tombes, attacher