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LE DIMANCHE

triste de Clichy leurs folies de jeunesse, tous ces exilés de la vie militante attendent en frémissant les visites amies. Les cœurs battent dans la prison quand le pas du gardien préposé au parloir retentit dans la galerie. « Est-ce pour moi que l’on vient ? » se dit chacun en prêtant l’oreille. Et l’on reprend triste et découragé sa promenade solitaire, si c’est un autre nom qu’a prononcé la voix indifférente de l’homme à casquette étoilée d’argent.

Dans les hôpitaux, de pauvres garçons aux joues creuses, aux yeux éteints, viennent tendre à travers le guichet leurs mains que fait trembler la fièvre. Triste spectacle !

De ce côté la santé et la vie, mais l’inquiétude et la douleur.

De l’autre côté de la grille, dans l’antichambre de la mort, des casaques grises, et des bonnets de coton blanc qui ne font plus rire, je vous jure, et qui retombent en plis tristes sur des têtes pâlies.

Mais dans le monde où nous vivons, on ne va guère à l’hôpital que pour boire du vin ou pour mourir. Les vieux de la vieille et les vieux de la jeune le savent bien. L’amitié d’un interne vous ouvre pour quinze jours un réfectoire. Ce sont des relais de santé, où s’arrêtent chacun à leur tour les ambitieux qui courent la poste sur le chemin de la gloire. Pendant quinze jours, on déjeune et l’on dîne, on boit du sang de rosbif et de raisin, et l’on quitte le râtelier un peu plus gras, un peu plus fou, pour enfourcher de nouveau son dada et dévorer la route.