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LES VICTIMES DU LIVRE.

pesé sur un caractère, entraîné une destinée. Quelquefois le traducteur s’était trompé, et la vie d’un homme pivotait sur un contresens.

Souvent, presque toujours, la victime a vu de travers, choisi à faux, et le Livre la traîne après lui, vous faisant d’un poltron un crâneur, d’un bon jeune homme un mauvais garçon, d’un poitrinaire un coureur d’orgies, un buveur de sang d’un buveur de lait, une tête-pâle d’une queue rouge.

Tyrannie comique de l’Imprimé !

D’où vient cela ?

Je ne sais ; mais l’influence est là ! Tous la subissent, jusqu’à nous, les corrompus, qui lisons mieux sur la mise en page que sur le manuscrit, et croyons plutôt que c’est arrivé.

Joignez à cette autorité de l’imprimé l’intérêt du roman. Que l’écrivain ou l’écrivailleur ait donné à ses personnages une physionomie saisissante, dans le mal ou le bien, sur une des routes que montre Hercule, moine ou bandit, ange ou démon ! et c’en est fait du simple ou du fanfaron sur qui le bouquin tombera. Ce sera une bosse ou un trou, une verrue ou une blessure, suivant la chance ! Mais la trace est ineffaçable comme la tache de sang sur la main de Macbeth ! Ils gratteront à en saigner ; le pâté y est, il restera !

Et cela, sans qu’ils s’en doutent, sans qu’ils sachent qu’ils ont le cerveau gonflé de vent et que leur cœur bat… dans l’écritoire d’un autre.

Rares, d’ailleurs, bien rares, dans Paris comme à