Page:Vallès - Les Réfractaires - 1881.djvu/155

Cette page a été validée par deux contributeurs.
148
DEUX AUTRES.

soldat ? si fiévreux, si maigre, avec son tic ! On dut le refuser à la visite.

Il sortit du collège et commença son droit qu’il ne put achever. On n’était pas riche au pays ! Il entra enfin au ministère de la guerre.

À ce moment de sa vie, il faut placer une circonstance à laquelle j’aurais peine à croire si elle ne m’eût été affirmée par des camarades et presque des compagnons de sa vie. On dit qu’il fut aimé, et que, pendant trois ans, ce monstre vécut avec une femme qui eut soin de lui, résignée, muette, assistant aux agitations de son nez malade, comme on voyait jadis, au haut des cathédrales, des employés mystérieux, rêveurs, qui regardaient s’agiter dans l’air les pattes en bois des télégraphes.

Un jour malheureusement, au lendemain de la révolution de février, le ministère de la guerre jeta sur le pavé quelques douzaines d’expéditionnaires, sous le prétexte qu’ils faisaient double emploi.

Cressot se trouva du nombre, et alors commença pour lui la vie de hasard. Il ne se laissa point aller à la paresse et ne roula point dans l’ornière. Il chercha tous les moyens de gagner du pain, et je le rencontrai un matin d’hiver, sur une grande route, qui, les pieds dans la neige, le nez glacé par le brouillard, plantait, à 3 francs la journée, des tringles en fer sur le chemin.

Il donna des leçons, mais son tic lui fermait l’entrée des maisons aristocratiques et tranquilles. Il fit des traductions de l’anglais ; malheureusement, il