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DEUX AUTRES.

ceux qui menaient l’existence obscure des cénacles. Ils n’avaient, pour leur faire l’aumône d’un dîner ou d’un éloge, que des camarades de collège, des voisins d’hôtel. Leur réputation n’avait pas dépassé le seuil humide des maisons borgnes qu’ils habitaient.

Parmi ceux-là encore, il faut choisir. On ferait un trop gros livre, si l’on voulait inscrire tous les décès qu’a entraînés la misère marchant boiteuse aux côtés de l’ambition. Je ne parlerai que de deux, l’un qui mourut de misère, l’autre qui s’est pendu.


I


Le premier s’appelait Cressot. Qui ne l’a connu ce poète, long comme un vers de treize pieds, qui dès sept heures du matin arpentait de son pied fourchu les rues du quartier latin, éternuant, toussant, perdant toujours quelque chose en route, ses cheveux, ses dents. Détraqué comme un vieux meuble, il s’affaissait, fiévreux, sous le coup d’une sénilité précoce, et l’on eût dit un siècle qui s’écroulait !

Il n’avait de bien vivant qu’un nez, un nez qui à la suite d’une maladie était devenu fou ! Il voulait, dans sa folie, quitter le visage auquel le bon Dieu l’avait soudé, il voulait partir, voyager, faire le diable, il avait assez de Cressot ! Heureusement, la Providence qui voit tout avait placé le remède près du mal, et appelé sur ce nez terrible la sollicitude de la