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UN RÉFRACTAIRE ILLUSTRE.

que le philosophe lui aurait dit, tout émerveillé :

« Venez dîner avec moi dimanche, nous causerons.

— J’y allai, s’écriait le grand critique. Oh ! ne me parlez plus de philosophes ! Quelle langue et quelle cuisine ! La langue, passe encore ! Mais les côtelettes ! toutes brûlées, les os de saint Laurent ! Et du vin ! de l’abondance chauffée au bain-marie. Un légume au beurre, c’était tout le déjeuner. Je me suis vengé. Au légume, je lui ai dit combien il avait fait des contresens. »

Qu’on n’aille pas croire, comme ont semblé le faire quelques feuilletonnistes, que les Danaïdes couchaient dans son estomac, et qu’il fût insatiable. Bâti comme un hercule, toujours pensant, méditant, ruminant, il avait besoin, tout comme un autre, d’une nourriture saine et abondante. Il a bien des fois mangé avec nous le dîner modeste de la table d’hôte, mangé dans la chambre et non dans la salle commune — la notoriété ! Cette horrible notoriété ! Comme il se rattrapait, quand un ami le conviait à un repas sérieux ! Malheureusement ! ils ne pleuvaient pas. Il avait depuis si longtemps abandonné les salons, les cénacles, les ateliers et les petites assemblées littéraires ! Il vivait retiré, avec des inconnus pour amis, et jamais, qu’on me croie sur parole, jamais, depuis dix ans, il n’avait pu acheter l’habit noir classique ; on l’eût invité à un bal ; même il aurait trouvé l’éditeur qui achèterait ses œuvres complètes — le grand rêve ! — il n’aurait pu s’y présenter qu’en