Page:Vallès - Les Réfractaires - 1881.djvu/137

Cette page a été validée par deux contributeurs.
130
UN RÉFRACTAIRE ILLUSTRE.

« Planche, dit-elle, j’ai une proposition à vous faire.

— Laquelle ? fit l’écrivain qui croyait peut-être à quelque malice de coquette.

Dans ce temps-là il était jeune et beau, et n’a-t-on pas prétendu, qu’il avait, avec ses longs cheveux blonds, ses grands yeux vagues, son fin sourire, séduit le cœur de bien des femmes ?

— Non, cher ami, reprit madame Dorval, voici une feuille blanche, un titre, le nom de l’auteur, ici une plume, de l’encre et du papier. Asseyez-vous une demi-heure, et barbouillez-moi de noir le papier vierge. Jamais vous n’aurez fait plus belle journée, nous vous payons mille francs les cent lignes. »

Planche prit la feuille de papier, regarda tour à tour le papier et l’actrice.

« Que voulez-vous dire ? fit-il en jetant la feuille sur la table avec un mouvement brusque. Écrire sur ce livre, et quoi donc, je vous prie ?

— Ce que vous voudrez ; on ne vous demande pas des éloges.

« Ce que vous voudrez, entendez-vous ? Blâmez, critiquez, déchirez, mordez si cela vous convient : on vous paye pour dire votre pensée tout entière.

— Est-ce vous qui me faites une pareille offre ? cria Planche en déchirant la feuille blanche qu’il jeta au feu. Ses lèvres tremblaient de colère, et il avait des larmes dans les yeux ; si bien que madame Dorval lui prit les mains et lui demanda pardon d’une voix tremblante.