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UN RÉFRACTAIRE ILLUSTRE.

poussait vite, et que souvent, hélas ! il n’avait pas les cinq sous de rigueur pour se faire raser. Ce n’était point chez lui, comme on l’a dit, incurie et négligence, mais pauvreté, misère. Bien des gens se figurent qu’avec son nom, sa réputation, son talent, Gustave Planche gagnait dignement sa vie et se faisait avec sa plume d’excellents revenus. Il n’a jamais gagné plus de quatre mille francs, le malheureux, et encore n’est-il arrivé à ce chiffre que l’année de l’Exposition universelle ! Déduisez ses frais de voiture, fort considérables pour lui, puisqu’il ne pouvait marcher. Il n’a jamais, les autres années, gagné trois mille francs. Je me rappellerai toujours avec quelle joie d’enfant il m’annonça, un soir (le jour de la première représentation d’une pièce de M. Augier du Gymnase) que la feuille lui était payée deux cent quarante francs, et non plus deux cents. Nous n’en avons jamais reparlé : je ne sais s’il fut augmenté depuis ce temps-là ; mais qu’on rapproche ce chiffre de ses articles, qu’on fasse le calcul, et l’on verra s’il avait vraiment de quoi vivre. Et encore lui arrivait-il quelquefois de terribles désagréments ! Le caissier de M. Buloz le payait sur copie. Une page des siennes valait une page de la Revue ; il en portait ou trois, ou quatre, ou cinq, quelquefois six, échangeait contre des écus, et il allait bien vite chez un créancier. Une fois il écrit petit à petit, au fur et à mesure de ses besoins, un long article intitulé Mœurs et devoirs de la critique. Il en a touché le montant, il attend la publication, quand M. Buloz l’appelle.