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LES MORTS.

ries du combat ! La liberté n’y gagne rien, la misère y perd, seulement le ruisseau est rouge.

Il en faut pourtant de ces hommes qui oublient qu’ils ont un corps à défendre pour s’égarer fiévreux dans le domaine de la pensée. Il faut qu’il en tombe ainsi des centaines avant qu’une idée triomphe ; il faut qu’elle mûrisse dans bien des têtes, qu’elle ait tourmenté bien des âmes. Ne maudissons pas ceux qui s’offrent en holocauste, ne rions point sur le passage des victimes, et laissons au moins s’accomplir pieusement l’hécatombe !

Leur aumône vaut bien la nôtre. Un seul nous paye les dettes de tous ! Un jour, du milieu de cette foule en guenilles, jaillit un rayon. Du fond de l’un de ces esprits malades, du fond d’un de ces cœurs blessés, s’échappe une note qui va au cœur de l’humanité, portée sur les pages frémissantes d’un livre, sur l’aile d’un chant sublime, fixée sur la toile, arrêtée dans le marbre ! Il tient un monde dans la tête d’une statue et tout le ciel dans le coin d’un tableau.

« Des fous ! » crient quelques-uns. Mais la folie d’hier est la sagesse de demain, l’impiété de la veille la religion d’aujourd’hui, l’athée d’une génération le dieu d’une autre. Hypocrites que nous sommes, nous blâmons leur audace, nous condamnons leur témérité : tout heureux au fond de nous-mêmes, d’assister à leurs jeux sanglants, joyeux du pittoresque de la lutte, irrités seulement parce qu’ils ne crient pas : Ave, Cæsar !