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LES MORTS.

Puis il en coûte tant de sacrifier le rêve à la réalité, d’étouffer les cris de son âme !

Aussi dussent-ils mourir inconnus, sans laisser au monde de testament, je leur sais gré de leur opiniâtreté courageuse, de leur glorieux entêtement.

III

Le monde croit peu à ces existences lamentables, à ces fins sinistres ! Fatigué par les déclamateurs qui ont voulu faire de tout petit poète mort à l’hospice un grand homme, de toute victime un héros, il crie : qui vive ? chaque fois qu’un de ces pauvres passe ! Suspecte toutes leurs douleurs ! Cette défiance a cours ; mais moi qui ai passé quelques heures dans le camp, je sais ce qu’on perd d’hommes tous les jours dans ce 101e régiment. Cette nuit, tandis que j’écrivais cet adieu au coin de mon feu mourant, tandis que, dans les chambres des mères, on parlait de ceux à qui l’on irait au matin souhaiter le nouvel an et porter des immortelles ; à travers les rues, par le froid triste, sous le ciel gris, rôdaient peut-être une centaine de malheureux, portant un diplôme de bachelier dans les poches de leurs habits troués.

« C’est leur faute » crie notre égoïsme gêné par ce spectacle et ces images ! Qui nous l’a dit ? Savons-nous ce que fut leur enfance, comment s’est passée leur jeunesse, à quelle heure ils firent naufrage,