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LES MORTS.

qui ont écrit sur la misère, de s’être laissé égarer par leur douleur, d’avoir été les soldats de leur sentiment, et d’avoir amoindri en voulant l’élever, compromis en essayant de la glorifier, la cause triste de ces martyrs, tués bêtement, sans bruit, sans gloire, par le froid, la faim, la honte, au haut des mansardes, au fond des hospices, au coin des bornes.

Le monde n’a jamais vu dans les malheureux que des révoltés. La misère ne lui apparaît qu’à travers le brouillard pâle des philanthropies ou la fumée rouge des révolutions, l’écume aux lèvres, la poudre aux mains.

À côté de cette misère classique qui a une histoire, il y en a une autre — la vraie, l’affreuse, l’horrible — je veux parler de celle qui n’a point de drapeau, ne jette point de cris ni d’éclairs : de celle qui tue ses victimes à petit feu : de celle qui, tous les ans, couche dans la poussière et dans la boue un bataillon d’hommes : qui, après avoir éteint la flamme dans le cerveau, brisé le cœur dans la poitrine, dévore les poumons, boit le sang.

Oui, il y a, dans ces cimetières, des cadavres de gens qui ne sont point morts pour avoir abusé de la vie, par le caprice d’un fléau, le feu, le choléra, la guerre ; point morts de maladie ou de vieillesse, de douleur ou d’amour, mais morts de froid, morts de faim.