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LES RÉFRACTAIRES.

du danger, au récit des batailles ; il avait peur de la caserne, non du combat : peur de la vie, non de la mort. Il préférait, à ce voyage glorieux à travers le monde, les promenades solitaires, la nuit, sous le feu des gendarmes, autour de la cabane où était mort son aïeul aux longs cheveux blancs. Au matin du jour où devaient partir les conscrits, quand le soleil n’était encore levé, il faisait son sac, le sac du rebelle ; il décrochait le vieux fusil pendu au-dessus de la cheminée, le père lui glissait des balles, la mère apportait un pain de six livres, tous trois s’embrassaient ; il allait voir encore une fois les bœufs dans l’étable, puis il partait et se perdait dans la campagne.

C’était un réfractaire.



Ce n’est point de ceux-là que je veux parler.

Mes réfractaires, à moi, ils rôdent sur le fumier des villes, ils n’ont pas les vertus naïves, ils n’aiment pas à voir lever l’aurore.

Il existe de par les chemins une race de gens qui, eux aussi, ont juré d’être libres ; qui, au lieu d’accepter la place que leur offrait le monde, ont voulu s’en faire une tout seuls, à coups d’audace ou de talent ; qui, se croyant la taille à arriver d’un coup, par la seule force de leur désir, au souffle brûlant