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C’est trop petit pour nous trois, Legrand, Vingtras et la Misère. — La gueuse ! Elle nous fait nous heurter et nous blesser à chaque minute, devant les grabats, les chenets, la table boiteuse.

Nous en sommes arrivés presque à la haine. Elle n’est pas encore sur les lèvres, elle est déjà dans les yeux. — Nous nous insultons du regard pour une porte ouverte, une fenêtre fermée, une chandelle trop tard éteinte : essayant en vain de nous cacher l’un à l’autre ou de nous cacher à nous-mêmes le dégoût et la fureur que nous avons de cette promiscuité.

C’est comme un mariage de bagne, entre forçats jaloux !

Il nous est défendu d’avoir une maîtresse, et nous sommes condamnés à la chasteté.

Si une femme entrait, l’autre devrait partir… Il fait froid dehors ; puis cela viendrait peut-être juste au moment où l’on était bien en train : jamais l’inspiration n’avait été meilleure. — Quel supplice !

Notre envie de travail même est dévorée par cette lutte sourde.

Il y a des moments où, bâtis comme nous sommes, nous nous tirerions dessus si nous avions un pistolet sous la main.


On a trouvé le pistolet !


Un homme est là roulant à terre dans une mare rouge. C’est moi qui ai fait le coup.

Un soir, Legrand m’a souffleté — pour je ne sais