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Il me reste vingt et un sous pour attendre la fin de la semaine ; samedi l’on doit me rendre deux francs que j’ai prêtés à un garçon sûr. Sûr ? Aussi sûr qu’on peut être sûr de quelqu’un en ce monde !

J’ai heureusement un petit crédit en bas. Je crois bien que le friturier me donne les raies dont on ne veut pas — en tout cas il me donne des têtes, beaucoup de têtes.

— Vous les aimez, m’avez-vous dit ?

J’ai fait croire que je les aimais, pour avoir crédit. Je n’osais pas demander crédit d’une friture avec des poissons comme on les pêche, ayant une tête, un ventre et une queue. C’est le poisson de ceux qui paient comptant, celui-là ! C’est le poisson des arrivés ?

J’ai dit :

« Quand vous aurez des têtes, vous m’en donnerez : c’est le morceau que je préfère. »

J’ai même eu bien peur, l’autre jour. Il y avait un homme, à face de mouchard, dans la boutique. On m’a appelé devant lui : l’homme qui demande des têtes ; c’était assez pour me faire arrêter.


Où est Legrand ?

Si l’on en croit des « on-dit » il vit dans le grand monde. Il est venu des gens de Nantes qui lui auraient apporté, de la part de sa mère, une malle bourrée de chaussettes, avec un vêtement de fantaisie complet, et un chapeau mou tout neuf !

On-dit !… Il y a bien des bruits qui courent.