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le lendemain et vous faire sentir toute l’importance réelle de l’imaginaire, je voudrais vous montrer comment le pouvoir lui-même, qui passe pour un effet de la force, est essentiellement une valeur spirituelle.

Le pouvoir n’a que la force qu’on veut bien lui attribuer ; même le plus brutal est fondé sur la croyance. On lui prête comme devant agir en tout temps et en tout point la puissance qu’il ne peut, en réalité, dépenser que sur un point et à un certain moment. En somme, tout pouvoir est exactement dans la situation d’un établissement de crédit dont l’existence repose sur la seule probabilité (d’ailleurs très grande) que tous les clients à la fois ne viendront pas le même jour réclamer leurs dépôts. Si, à chaque instant, à un moment quelconque, un pouvoir quelconque était sommé de produire ses forces réelles sur tous les points de son empire, ce pouvoir serait en tous ces points à peu près égal à zéro…

Remarquez aussi (considération plus intéressante encore) que, si tous les hommes étaient également éclairés, également critiques, et surtout également courageux, toute société serait impossible !…

La confiance ou la crédulité, l’inégalité intellectuelle et la crainte sous mille formes lui sont également indispensables. À ces éléments essentiels, s’ajoutent la cupidité et la vanité, — et autres vertus, — qui sont les condiments, les compléments psychiques de ces bases psychiques de la société et de la politique.

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Mais je veux vous donner une image assez saisissante (quoique purement fantastique) de cette structure fiduciaire qu’exige tout l’édifice de la civilisation et qui est l’œuvre de l’esprit.