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grand journal ; comme Laërte, qui est quelque part dans l’aviation ; comme Rosencrantz, qui fait je ne sais quoi sous un nom russe ?… Adieu, fantômes, le monde n’a plus besoin de vous ni de moi.

« Le monde qui baptise du nom de progrès sa tendance à une précision fatale cherche à unir aux bienfaits de la vie les avantages de la mort.

« Une certaine confusion règne encore ; mais, encore un peu de temps, et tout s’éclaircira, nous verrons enfin apparaître le miracle d’une société animale, une parfaite et définitive fourmilière… »

Je vous ai dit tout à l’heure que l’esprit est caractérisé par une puissance de transformation dont la tendance est d’altérer les conditions initiales et animales de l’espèce, et qu’il est parvenu à se construire ainsi tout un monde fort différent du monde primitif donné. Il n’est donc pas étonnant qu’il se trouve en proie à une quantité d’énigmes dues aux antagonismes, aux contrastes qui ne manquent point de se déclarer entre les développements dont je viens de parler et la nature fondamentale de l’homme, sa nature de départ. À côté des énigmes réelles qui nous sont proposées par les choses, nous trouvons d’autres énigmes qui nous sont proposées par nos propres œuvres, par nos créations accumulées.

Une grande partie des difficultés actuelles tiennent à la survivance puissante d’une sorte de mystique ou de mythologie qui est de moins en moins en accord avec des faits, mais dont on ne sait comment se défaire. À chaque instant, on en ressent le poids mort et la nécessité. Il y a en nous un combat entre la veille, le passé qui est représenté par cette mythologie, et un certain lende-