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de plus en plus près à quelque chose, et qui ont les moyens d’y penser sans égard à la pression des événements, à leur situation ou à leurs fonctions, devraient peut-être dépenser quelque part de leur temps précieux, de leur attention la plus exquise, à faire ce que les hommes d’État, ou ceux qui en tiennent lieu, ne peuvent faire, faute de liberté, et par manque de l’habitude de considérer les problèmes sans y voir leur puissance ou leur gloire, ou leurs sentiments, ou leurs intérêts engagés. Je regarde la nécessité politique d’exploiter tout ce qui est dans l’homme de plus bas dans l’ordre psychique comme le plus grand danger de l’heure actuelle. Or, l’hostilité entre les nations repose nécessairement sur un nombre très restreint de personnes, car les nations elles-mêmes sont des idées ou entités politiques qui ne peuvent être nettement conçues que par des hommes d’assez grande culture et d’imagination assez forte pour identifier et personnifier des systèmes de millions d’êtres, dont les intérêts, et les types sont souvent fort dissemblables, sinon antagonistes, et qui vivent dans l’intérieur d’un contour fixé, à une époque donnée, par des événements et des conventions variables de siècle en siècle. La politique dite « extérieure » est en réalité le jeu des relations de ces minorités, de leurs sentiments, de leurs souvenirs et de leurs desseins, ou de leurs ambitions propres, et l’on trouve assez aisément que ce jeu traditionnel, qui s’oppose de plus en plus au développement des conséquences de la transformation moderne du monde, exige de plus en plus la division de l’individu et de la civilisation contre soi-même. On ne peut échapper à l’impression d’une fatalité factice qui engage l’humanité dans la voie de conflits sans issue et sans autres résultats possibles que les destructions de toute espèce qu’ils promettent. Si cruels qu’ils pourront être, leur bêtise fera pâlir leur cruauté,