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Dans les types modernes de dictature, la jeunesse, et même l’enfance, sont l’objet d’une attention et d’un travail de formation tout particuliers.

L’ordre alors régnera ; et certains biens très sensibles seront assurés à la masse de la population, — les uns, réels ; les autres, imaginaires.

Les actes du pouvoir paraîtront convergents et rationnels, même si leur énergie va quelquefois à la rigueur.

Les instincts de conservation et d’accroissement collectifs qui se trouvent diffus dans un peuple se trouveront composés, précisés, définis à l’état d’idées et de projets dans cette tête unique, en qui le mépris de la foule visible et manœuvrée peut se combiner curieusement avec le culte de la forme historique nationale dont cette foule est la matière momentanée.

On voit qu’il suffit de penser à la vie d’ensemble des hommes et de la considérer comme devant s’organiser sur un modèle intelligible pour que l’idée dictatoriale soit conçue. Elle point dès que l’opinion s’étonne de ne pas comprendre l’action ou l’inaction du pouvoir. Un dictateur peut donc être (et est assez souvent) un homme intimement contraint à s’emparer de ce pouvoir, — comme le spectateur d’un jeu trop mal joué se sent une fureur de bousculer l’incapable et de prendre sa place. Il s’installe et poursuit la concentration dans sa pensée de tous les éléments ou germes dictatoriaux qui étaient latents ou naissants dans une quantité de têtes. Il élimine ou isole tous ceux qui ne lui abandonnent point leur propre élément dictatorial. Il demeure seule volonté libre, seule pensée intégrale, seul possesseur de la plénitude de l’action, seul être jouissant de toutes les propriétés et prérogatives de l’esprit, en présence d’un nombre immense d’individus réduits indistinctement — quelle que soit leur valeur personnelle — à l’état de moyens ou de matière, — car il n’y a pas un autre nom pour toute chose que l’intelligence peut prendre pour son objet.