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jamais d’exciter dans ceux qui les éprouvent et qui ne tirent aucun profit d’une telle dissolution, l’image d’un état tout opposé, et bientôt, — de ce qu’il faudrait faire pour qu’il s’établît.

Le régime ne tient plus alors que par trois points : les forces des intérêts particuliers qui se sont liés à son existence ; l’incertitude et la crainte de l’inconnu ; l’absence d’une idée du lendemain, unique et assez précise (ou de l’homme qui représenterait cette idée).

L’image d’une Dictature est la réponse inévitable (et comme instinctive) de l’esprit quand il ne reconnaît plus dans la conduite des affaires, l’autorité, la continuité, l’unité, qui sont les marques de la volonté réfléchie et de l’empire de la connaissance organisée.

Cette réponse est un fait incontestable. Il n’est pas dit qu’elle ne comporte pas de grandes illusions sur l’étendue et la profondeur du pouvoir d’action de la puissance politique ; mais elle est la seule qui puisse se former à la rencontre de la pensée et de la confusion des circonstances publiques. Tout le monde alors pense Dictature, consciemment ou non ; chacun se sent dans l’âme un dictateur à l’état naissant. C’est là un effet premier et spontané, une sorte d’acte réflexe, par lequel le contraire de ce qui est s’impose comme besoin indiscutable, unique et entièrement déterminé. Il s’agit d’ordre et de salut publics ; il faut atteindre ces objets au plus vite, par le plus court, et à tout prix. Seul, un MOI peut s’y employer.

La même idée (sans se proposer aussi expressément) est au moins imminente dans tous ceux qui songent à réformer ou à refaire la société selon un plan théorique dont l’entreprise exigerait des modifications profondes et simultanées dans les lois, les mœurs, et même les cœurs.

Dans les deux cas, l’on attribue une fin bien déterminée à la société :