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tant de désarroi, tant de soucis et tant de jouets, tant de connaissances et tant d’incertitudes. L’inquiétude et la futilité se partagent nos jours.

C’est à vous maintenant, chers jeunes gens, d’aborder l’existence, et bientôt les affaires. La besogne ne manque pas. Dans les arts, dans les lettres, dans les sciences, dans les choses pratiques, dans la politique enfin, vous pouvez, vous devez considérer que tout est à repenser et à reprendre. Il va falloir que vous comptiez sur vous-mêmes beaucoup plus que nous autres n’avions à le faire. Il faut donc armer vos esprits ; ce qui ne veut pas dire qu’il suffit de s’instruire. Ce n’est rien que de posséder ce qu’on ne songe même pas à utiliser, à annexer à sa pensée. Il en est des connaissances comme des mots. Un vocabulaire restreint, mais dont on sait former de nombreuses combinaisons vaut mieux que trente mille vocables qui ne font qu’embarrasser les actes de l’esprit. Je ne vais pas vous offrir quelques conseils. Il ne faut en donner qu’aux personnes très âgées, et la jeunesse s’en charge assez souvent. Laissez-moi cependant vous prier d’entendre encore une ou deux remarques.

La vie moderne tend à nous épargner l’effort intellectuel comme elle fait l’effort physique. Elle remplace, par exemple, l’imagination par les images, le raisonnement par les symboles et les écritures, ou par des mécaniques ; et souvent par rien. Elle nous offre toutes les facilités, tous les moyens courts d’arriver au but sans avoir fait le chemin. Et ceci est excellent : mais ceci est assez dangereux. Ceci se combine à d’autres causes, que je ne vais pas énumérer, pour produire, — comment dirais-je, — une certaine diminution générale des valeurs et des efforts dans l’ordre de l’esprit. Je voudrais me tromper ; mais mon observation est