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PROPOS SUR LE PROGRÈS

Les artistes naguère n’aimaient pas ce qu’on appelait le Progrès. Ils n’en voyaient pas dans les œuvres beaucoup plus que les philosophes dans les mœurs. Ils condamnaient les actes barbares du savoir, les brutales opérations de l’ingénieur sur les paysages, la tyrannie des mécaniques, la simplification des types humains qui compense la complication des organismes collectifs. Vers 1840, on s’indignait déjà des premiers effets d’une transformation à peine ébauchée. Les Romantiques, tout contemporains qu’ils étaient des Ampère et des Faraday, ignoraient aisément les sciences, ou les dédaignaient ; ou n’en retenaient que ce qui s’y trouve de fantastique. Leurs esprits se cherchaient un asile dans un moyen âge qu’ils se forgeaient ; fuyaient le chimiste dans l’alchimiste. Ils ne se plaisaient que dans la Légende ou dans l’Histoire, c’est-à-dire aux antipodes de la Physique. Ils se sauvaient de l’existence organisée dans la passion et les émotions, dont ils instituèrent une culture, (et même une comédie).

Voici cependant une contradiction assez remarquable dans la