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ropéenne, ce sera ce reste vivace de haine et de rancune que laissent derrière soi, l’incendie, le viol et la défaite.

On se traitera de barbares, d’affameurs, et l’Humanité, si on la laisse sous la funeste direction qui voulut la guerre, renouvellera le geste héroïque et absurde du blessé mourant, qui essaie encore, de ses doigts déjà gourds, le geste de viser les brancardiers.

Oui, c’est vrai que les pires atrocités ont été perpétrées sur notre sol, à nous Français, par l’ennemi ; c’est vrai que des généraux allemands ont fait sauter des villes innocentes, assassiné des terres jusqu’alors fécondes ; c’est vrai aussi que des violences ont été commises par des soudards. Tout cela est vrai.

Mais (et ici la parole appartient aux hommes qui reviennent de faire la guerre et qui ont vu)… mais il est à la fois absurde et injuste d’imputer à une armée de 6 millions d’hommes le crime de 50 généraux et de 4 ou 5 mille repris de justice.

Et si on nous pousse à bout, si on veut à tout prix que nous expliquions à ceux qui n’ont pas vu de champ de bataille ce que c’est que l’âme hagarde et navrée d’un soldat ivre de la mort des autres et de la hantise de la sienne propre, si on veut que nous évoquions l’horrible dilemme entre l’imprudence de laisser derrière soi un blessé ennemi vivant et le geste qu’il faut pour le réduire à l’impuissance de nuire… si on veut, enfin, que nous révélions aux apôtres du devoir de haine, ce que nous avons vu et fait, nous sommes prêts à cette confession.

Au reste, le devoir des anciens combattants sera, non pas d’oublier leurs souffrances et leurs luttes, mais au contraire de les évoquer chaque fois qu’un naïf ignorant parlera de lauriers, de vengeance.

Car la guerre n’a été possible que par le mensonge ensoleillé dont l’avaient auréolée d’innocents poètes et de rétrogrades historiens. La surprise de 1914, il ne faut pas que nos enfants la connaissent. Et c’est pourquoi, il faut que notre souci constant s’acharne à ruiner, à salir, arracher l’amour de la guerre du cœur des enfants et des adolescents. Il faut que nous sachions leur faire comprendre, à eux qui ont eu la chance d’être trop jeunes pour voir ce que nous avons vu, quelle différence il y a, entre ce sentiment inoffensif, tendre, lyrique, l’amour de la Patrie, et cette ineptie haineuse, coûteuse, tueuse, qu’on nous enseignait. Il faut que nous montrions avec respect à nos enfants, un drapeau de mairie, un drapeau de lavoir, parce que la vie municipale est bonne comique plantureuse saine et que le spec-