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vous arrêtait même au Lord du précipice, en vous disant : « Ne va pas par là. »

Les maisons de bouillotte et de baccarat fleurissent encore aujourd’hui ; on ne joue plus à la roulette, au trente et un, au creps ; mais, chez tous les restaurateurs, dans tous les clubs, on joue son patrimoine sur parole au whist, quelquefois même au baccarat.

Dans les maisons de jeu publiques et autorisées, on perdait la moitié de sa masse lorsque sortaient, au trente et quarante, un refait de 31, et à la roulette, le zéro ou le double zéro. C’était une espèce d’impôt prélevé sur les joueurs : mais on ne pouvait du moins jouer sur parole.

Certains joueurs, criblés de dettes de jeu faites sur parole dans des tripots, partent aujourd’hui pour l’étranger sans payer. Ou bien, vous êtes mandé par une mère de famille qui tient à acquitter les dettes de son fils, mais qui semble vous rendre responsable des folies d’argent qu’elle ne lui pardonne pas.

J’entends souvent dire que si les jeux publics se rouvraient, on aurait moins à craindre les tripots clandestins. Ces tripots étaient tout aussi nombreux pendant la durée de la ferme des jeux, et la ville dépensait pourtant de grosses sommes pour frais de surveillance. Une police spéciale contre les maisons de jeu non autorisées était sans cesse sur pied.

Rouvrir une seule ou plusieurs maisons de jeu publiques, ce serait donner une nouvelle fièvre de jeux de hasard à ce pays-ci ; ce serait sciemment faire lever de nouveaux joueurs, préparer pour les familles de nouveaux désespoirs, et faire naitre l’occasion de nouveaux suicides.