Page:Véron - Mémoires d’un bourgeois de Paris, tome 1.djvu/307

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moissonné ce qu’un homme de génie et ce qu’un grand seigneur intelligent avaient semé dans ce riche terrain de l’Opéra.

Par malheur, à compter de la révolution de Juillet, les chants de Rossini avaient cessé. Je dirai tout ce que je fis d’efforts pour amener Rossini à écrire un nouvel opéra ; malgré la cordiale bienveillance dont il m’honorait, Rossini me résista ; il fit liquider une pension de six mille francs qu’il touche encore, et après un voyage en Espagne, il se retira en Italie.

Ce voyage en Espagne nous valut le Stabat Mater qui fut exécuté au Théâtre-Italien. Son Excellence don Emmanuel Fernandez Varela, commissaire de la Crusada[1], grand dignitaire de l’Église espagnole, alors célèbre à Madrid par son goût pour les arts et par le luxe de son palais, donna un jour la plus brillante fête toute en l’honneur de Rossini. Dans la salle à manger, les titres de toutes les partitions de Rossini étaient écrits avec des fleurs. La piété et la passion musicale de Son Excellence don Emmanuel n’hésitèrent pas à demander à Rossini un morceau de musique religieuse ; le maître s’engagea, tint parole, et dédia son Stabat Mater au seigneur Varela.

Le Stabat Mater fut d’abord exécuté dans l’église de San-Felipo el Real, le jeudi saint de l’année 1833, en présence de la cour, de toute la noblesse et de tout ce que Madrid renfermait de plus distingué. Les mœurs espagnoles ne permettent pas que des femmes chantent dans les églises ; on fut donc forcé d’adapter à des voix

  1. Ces fonctions laissent à celui qui les exerce la libre disposition des bulles et des sommes d’argent qu’elles rapportent.