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pensée, et voilà tout ; il était peu soucieux et ne s’apercevait même pas de l’effet qu’il pouvait produire.

Un jeune homme se présente au Conservatoire pour être admis au pensionnat. Il venait de faire cent lieues à pied ; il chante : il a de la voix, et sa voix n’est pas mauvaise. Mais ce pauvre garçon est petit, gros, trapu ; sa figure grimace. On vote ; il n’est pas admis. Il lui faut donc faire encore cent lieues pour retourner dans sa ville natale ! Le comité, tout en le refusant, voudrait adoucir l’amertume du refus : « Laissez-moi faire, je vais arranger cela, » dit Cherubini qui présidait. On appelle le candidat : « Monsieur, dit Cherubini, le comité ne peut pas vous recevoir, parce que vous êtes trop laid. »

Après la mort d’Hérold, que je trouvai maître de chant à l’Opéra et dont je parlerai plus tard, Adolphe Nourrit et plusieurs artistes de l’Opéra se rendent auprès de Cherubini pour le prier de laisser chanter aux funérailles d’Hérold une messe de Requiem, que le maitre venait de composer. Le maître refuse ; on insiste : « Non, dit Cherubini, je ne puis vous donner cette messe, je la garde pour Paër. » Rien n’annonçait alors la fin prochaine de Paër, qui vécut encore cinq ou six ans.

Un graveur avait composé et fait frapper une médaille de Cherubini ; il lui en apporta huit ou dix exemplaires, en le priant de les acheter. Cherubini était dans un de ses accès de misanthropie : « Qu’ai-je à faire de ces médailles ? — Vous les donnerez à vos parents, à vos amis. — Je n’ai point d’amis, et je ne donne rien à mes parents. »

Malgré ces boutades, Cherubini se montrait souvent