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d’une fois utile, et il le fit toujours avec la même simplicité. M. Thiers, ministre de l’intérieur, me donna à peindre le Salon du Roi, au palais Bourbon.

» Le salon de Gérard, que vous désirez connaître, poursuivit Eugène Delacroix, était une des choses curieuses du temps. L’homme lui-même était un type rare ; j’ai entendu dire tant de sottises sur les hommes connus, que je me défie beaucoup des réputations qu’on fait aux gens. On traitait Gérard de courtisan, de diplomate raffiné. J’avoue que, toutes les fois que je lui demandai quelques petits services, je le trouvai assez entortillé dans ses réponses. Voici cependant une anecdote qui le peint dans une de ces explosions de caractère que ne peuvent maîtriser quelquefois les plus circonspects. Jacquemont le voyageur m’a conté que, demandant un jour à voir Gérard, on lui répondit qu’il était à Saint-Cloud, pour un portrait de Charles X. Quelques instants après, Gérard est de retour : il passe devant Jacquemont sans le voir ; il entre dans la cuisine, qui était sous la porte cochère, et prend place avec une fureur concentrée à une table où étaient assis ses domestiques. « Qu’on me donne du pain et du fromage, dit-il d’une voix de tonnerre, et au diable le reste ! » Il revenait, ce jour-là, blessé de quelques-unes de ces paroles que, sous la restauration, on n’épargnait guère aux hommes de la révolution et aux hommes de l’empire.

» On arrivait chez Gérard à l’italienne, c’est-à-dire à minuit ; on y rencontrait, comme assidus, Talma, mademoiselle Mars, le comte Lowœnhielm, Mérimée, Jacquemont, madame Ancelot, mademoiselle Delphine Gay ; entre autres, le pauvre Beyle (Stendhal), mort su-