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au milieu de ses préparations et de ses esquisses ; il me donna les marques de la plus grande confiance, et Gros était un homme très-inquiet et très-soupçonneux. Je crus entrevoir qu’il songeait à me prendre près de lui, pour me faire obtenir le prix de Rome dans son école. Ma route était tracée d’un autre côté, et je déclinai cette protection. Gros changea de ton envers moi, et lorsque plus tard ses élèves, peut-être pour le flatter, critiquaient devant lui mes tableaux, il les arrêtait, non pas en prenant le parti du peintre, mais en leur disant que j’étais un jeune homme parfaitement honnête et bien élevé.

» Géricault ressentait de l’adoration pour Gros ; il n’en parlait qu’avec enthousiasme et respect. Leurs deux talents étaient cependant dissemblables ; mais Géricault devait beaucoup aux exemples de Gros. C’est surtout dans la représentation des chevaux que Gros a été son maître. Géricault, dans ses chevaux, exprime peut-être mieux la force ; mais il n’a jamais su faire le cheval arabe. Le mouvement, l’âme, l’œil du cheval, sa robe, le brillant de ses reflets : voilà ce que Gros savait rendre comme personne. La science dans les chevaux de Géricault est pourtant loin d’exclure la verve ; mais il n’a pas su trouver l’impétuosité et la légèreté. Au salon de 1812, le Chasseur à cheval de Géricault fut placé comme pendant à côté du portrait équestre de Murat, par le baron Gros. Cet ouvrage d’un homme de vingt ans nuisit un peu au succès du grand maître, soit à cause de cet intérêt qui s’attache toujours à un inconnu, soit à cause du plaisir secret de l’envie à opposer un talent naissant qui n’inquiète encore personne à un talent con-