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« J’ai eu de très-bonne heure un très-grand goût pour le dessin et pour la musique. Un vieux, musicien, organiste de la cathédrale de Bordeaux (mon père y est mort préfet), donnait des leçons à ma sœur. Pendant que je faisais des gambades, ce brave homme, qui d’ailleurs avait beaucoup de mérite, et qui avait été l’ami de Mozart, remarquait que j’accompagnais le chant avec des basses et des agréments de ma façon dont il admirait la justesse ; il tourmenta même ma mère pour qu’elle fit de moi un musicien.

» Mon père, vers l’époque de la paix d’Amiens, et avant d’être appelé à la préfecture de Bordeaux, avait été préfet de Marseille : son nom y est encore honoré. Dans moins d’une année, il m’arriva là une suite d’épreuves singulières : je fus successivement brûlé dans mon lit, noyé à moitié en tombant dans la mer, empoisonné avec du vert-de-gris, pendu par le cou à une vraie corde, et presque étranglé par une grappe de raisin, c’est-à-dire par le bois de la grappe. »

Ici j’interrompis mon ami Eugène Delacroix : « Vous voyez bien, lui dis-je, que la Providence avait des vues sur vous : elle tenait à ce que vous fissiez le Massacre de Scio, le beau plafond de la grande galerie du Louvre et bien d’autres tableaux ; elle tient même, sans doute, à ce que vous soyez un jour élu membre de la quatrième classe de l’Institut. » Mon ancien condisciple, souriant à ma prédiction, continua ainsi :

« Je dois à une assez bonne éducation la connaissance des anciens : je m’en applaudis d’autant plus que les modernes, enchantés sans doute d’eux-mêmes, négli-