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gène Delacroix, puis plus tard Decamps, Camille Roqucplan et beaucoup d’autres apportèrent dans la lutte le décisif appui de leur palette. Les coloristes furent vainqueurs, à ce point que l’école de David fut à son tour méprisée et souffletée, et que toute l’école du dix-huitième siècle reprit faveur jusqu’à l’engouement.

Les coloristes affichèrent des airs de conquérants. Les Vanloo, Fragonard, Pater, Lancret, Boucher, Chardin, Creuse, Watteau, eurent une rentrée triomphale. L’enivrement de la victoire alla même jusqu’à l’orgie, et ce fut alors que se rencontra un homme passionné, exclusif, plein de conviction, plein d’admiration pour soi-même, ne manquant ni d’étude, ni d’élévation, ni de grandeur, assez épris de l’antiquité, un chef d’école enfin qui vint, comme un gendarme, mettre le holà et rétablir la discipline dans les ateliers en goguette. Ce gendarme, ce fut M. Ingres. Par son talent et par cette réaction inattendue contre les excès de la couleur, M. Ingres se fit une grande renommée ; il n’eut pas d’élèves, il eut des apôtres.

Le public lui-même a fait de grands progrès en peinture : le temps est bien loin où il se pressait autour d’un tableau de bataille du général Lejeune, et admirait ces petits bonshommes de bois, qui étaient censés se battre les uns contre les autres. La foule s’arrête aujourd’hui devant les Chevaux et devant le Naufrage de Géricault, devant la Bataille des Cimbres, devant la Ronde de nuit, devant le Supplice des crochets, devant tous les tableaux du grand peintre qui honore notre temps et notre pays, devant les tableaux de Decamps,