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primés par des titres plus sérieux. Sa conscience et son cœur avaient des délicatesses infinies, et, pour tranquilliser son cœur et sa conscience, voici ce qu’il imagina pour une élection académique très-disputée.

Pour cette élection à une seule place vacante, trois candidats lui semblaient avoir des droits égaux devant sa justice comme devant son affection ; il écrivit sur trois petits papiers semblables le nom de chaque candidat, il roula ces papiers pour qu’il lui fût impossible de reconnaître aucun des noms.

Au moment de déposer son vote, Soumet saisit au hasard un des petits papiers, priant le ciel qui voit tout de mettre en sa main le nom du plus digne. Dès que ce vote inconnu eût été déposé dans l’urne, il brûla, sans les regarder, les deux autres papiers qui contenaient les deux autres noms, voulant éviter ainsi les reproches de sa conscience ou les regrets de son cœur. Il ne sut jamais qui avait obtenu l’appoint de sa voix.

Alexandre Soumet ne méprisait pas l’esprit. Il disait à son camarade de collège, le poëte Guiraud, qui pérorait, discutait, criait et bredouillait : « Guiraud, tu parles si haut qu’on ne t’entend pas. »

Il lui disait encore : « Guiraud, prends garde ! tu vis comme les dieux ; tu te nourris d’ambroisie : tu manges la moitié dé tes vers ! »

Soumet à propos de son gendre, savant qui parlait peu, disait aussi : « C’est un homme de mérite ; il se tait en sept langues. »

Le baron Guiraud n’était qu’un pâle reflet de Soumet ; il ne copiait que le poëte. Tous deux étaient nés sur les bords de la Gironde ; mais Guiraud seul était Gascon.