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tout le monde se tût ; il disait à chacun à voix basse : « Ecoutez-moi donc ! »

Toute la famille Paulée est éteinte, à l’exception de la fille de M. Paulée fils, mariée très-honorablement.

J’ai encore vu de près un munitionnaire général. J’ai quelquefois dîné avec Ouvrard, vers la fin de sa vie.

Ouvrard n’entra dans les fournitures de l’armée qu’avec une certaine fortune acquise. C’était plus qu’un homme d’esprit : c’était une ferme et active intelligence, un caractère résolu et persévérant. Il eut une grande ambition de financier : ce fut de faire comprendre, d’enseigner et de fonder le crédit en France.

La France a longtemps ressemblé à un petit rentier content de ses revenus, et qui tient moins à les accroître qu’à les conserver. La France se suffit à elle-même ; les produits du nord s’échangent contre les produits du midi ; son sol est fertile, et elle exporte même son surcroît de récoltes et de richesses. La France a un peu des mœurs de l’avare : elle enfouit son trésor de peur qu’on ne le lui vole.

Ouvrard voulait guérir la France de ce vice stérile et mortel, de l’avarice ; il voulait lui donner le goût des grandes choses, des grandes entreprises, des gros bénéfices ; il voulait qu’elle comptât sur le bout du doigt son immense et fécond avoir, et que, spéculateur hardi, elle sût exploiter sa fortune présente et sa fortune à venir. Homme d’imagination, d’expédients et de ressources, Ouvrard fut appelé, consulté et employé depuis le commencement du siècle par toutes les puissances du jour