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miers généraux, on vit naître des fournisseurs de l’armée.

Je rencontrai, dans les premiers temps de la restauration, un certain M. Paulée qui, par de rusés calculs et d’ingénieux expédients, s’improvisa fournisseur de l’armée, et entassa millions sur millions.

M. Paulée était né à Douai ; sa vie commença dans un hôtel de Douai, comme garçon d’auberge. Grâce à son zèle, à son amour du travail et peut-être à quelques intrigues de cave et de cuisine, il s’éleva bientôt aux fonctions sérieuses et toutes de confiance de sommelier de l’hôtel. Il épousa la cuisinière de l’établissement, de telle sorte que, lorsque l’on était dans les bonnes grâces de M. Paulée, on était sûr d’obtenir de bons morceaux et de ne boire que de bons crus et de bonnes années.

Cet hôtel, le plus important de la ville de Douai, comptait une grande clientèle ; elle se composait de tous les officiers, de tous les généraux, de tous les commissaires des guerres qui se rendaient à l’armée du Nord, et de tous les cultivateurs, marchands de grains, fermiers des environs, qui se rendaient à Douai les jours de marché. Ce jeune Paulée était intelligent, gai, sympathique, respectueux, flatteur au besoin. En apportant aux uns et aux autres des plats que soignait sa femme à la cuisine, et en leur débouchant de vieilles bouteilles choisies dans les meilleurs tas, il gagna la confiance de ceux qui avaient des grains à vendre et de ceux qui avaient des grains à acheter. Des généraux influents le prirent en amitié, et il fut d’abord chargé de quelques petites fournitures ; il sut si bien s’y prendre, il sut si bien faire les affaires de tout le monde, et même les siennes, que