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musique tapageuse, des jeux à tout perdre et des amours de rencontre à tout craindre, mais à tout oser !

Le dieu Mars y était représenté par quelques traîneurs de sabre plus ou moins avinés ; le dieu Mercure, avec tous ses attributs, y avait élu domicile, et on y coudoyait à chaque pas dans les galeries, dans les cafés à spectacle, et pendant l’été dans les allées sombres du jardin, une foule de Vénus, au port de reine, peintes de rouge et de blanc, moins éblouissantes par leurs paillons et leurs verroteries que par leurs splendides nudités. L’empire, par ses mœurs, était païen.

Le spectacle de tous ces vices grouillants était un tel scandale, que quinze jours avant la fête du jour de l’an et quinze jours après, la police intervenait, nettoyait autant que possible ces étables d’Augias, pour que les boutiques pussent, au moins pendant quelques jours, être achalandées par d’honnêtes femmes.

Tout le commerce honnête du Palais-Royal demanda sous la Restauration que cette surveillance de la police, au profit de la morale publique et des mœurs, durât toute l’année. Le gouvernement se rendit bien vite à de pareils vœux ; mais à compter de ce jour, le Palais-Royal fut presque ruiné : les boutiques se fermèrent, et on fut à la veille, sur la demande de ces mêmes marchands, de rappeler ces sirènes proscrites, dont l’exil avait fait le vide et changé un palais féerique en une décente solitude.

Un nouveau genre de spéculations dut bientôt se produire dans un pays où on entretint pendant plus de quinze ans plusieurs armées sur le pied de guerre. On avait supprimé les contrôleurs généraux, les fer-