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La misère et l’ambition trompée troublent alors l’esprit et le cœur de ces fils, de ces filles de famille, et les poussent à tous les désordres. Ils payent du malheur de toute leur vie les joies confuses d’une enfance dont tous les désirs ont été satisfaits et prévenus.

Élevé avec des idées plus prudentes et plus raisonnables, je trouvai dans la petite fortune paternelle dont j’héritai un facile point de départ pour mes entreprises. Cette fortune, quoique modique, avait coûté à mes parents bien des privations. Que leur tendre prévoyance reçoive ici en public les témoignages d’une reconnaissance et d’une piété filiales qu’aucune prospérité n’a jamais pu éteindre ni affaiblir au fond de mon cœur !

Sous le ciel gris d’une enfance studieuse et rarement distraite ou égayée, j’avais cependant un ami de tous les jours qui m’apportait de piquantes excitations pour ma curiosité, de charmants et vifs plaisirs pour mon intelligence : c’était le Journal de l’Empire, aujourd’hui le Journal des Débats. Mon père le recevait de seconde main, et tous les jours j’étais chargé d’aller le prendre dans le voisinage. Je n’y manquais pas. Le long de la route, je dévorais les faits-Paris, les articles littéraires et, comme on le pense bien, les feuilletons de Geoffroy. Je m’étais pris surtout d’un goût assez vif pour les articles de Charles Nodier, qui plus tard devait être un de mes collaborateurs à la Revue de Paris.

Le Journal des Débats fut pour moi un précepteur dont j’aimais et je recherchais les leçons de littérature presque quotidiennes. Je pus, pendant toute ma jeunesse, suivre assidûment ses leçons : je ne fis mes étu-