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la valeur nous assureront la victoire. Autrefois mon ambition eût hâté ce moment où chaque brave trouvera sa place ; maintenant un soupir me prouve que mon cœur est rempli de plus doux objets et que le devoir et l’honneur seuls me retiennent ici. Encore cette campagne de guerre, mais, sur ma parole, c’est la dernière. Je ne croyais pas, mon ami, que cette absence dût me coûter autant ; habitué à la frivolité des engagements d’amour, je ne me croyais pas susceptible d’un sentiment qui maîtrise toutes mes pensées ; mais chaque instant me rappelle une femme que j’adore, et tous les chagrins de l’absence me tourmentent. Bientôt tu la verras, tu connaîtras bientôt ses douces et bonnes qualités ; je suis bien aise de savoir comme tu la trouveras : elle est d’abord froide et timide. Combien j’eusse désiré pouvoir la présenter à ta famille ! J’espère qu’elle y trouvera de la bonté et de l’amitié.

» Adieu, mon ami, je te donnerai des détails quand il se passera quelque chose d’intéressant ; écris-moi, et rappelle-moi au souvenir des personnes qui t’environnent. »

Cette lettre fut la dernière que put écrire à son ami M. Dubois Crancé. Ce brillant officier fut tué huit jours après, le 5 floréal an viii !

Il ne fallait point demander aux mœurs de caserne de ces temps-là la fine fleur de la politesse. Vous lisiez un journal dans un lieu public : il se pouvait qu’un officier entrât, et, sans dire mot, vous prît le, journal des mains ; à une queue de spectacle, tout militaire passait