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D’UN BOURGEOIS DE PARIS

des choses obligeantes que tu fais pour ma cousine : j’y reconnais ton amitié pour moi et ton bon cœur.

» J’arrivai un peu tard au Luxembourg ; on était à table : je saluai le consul ; il me fit signe de prendre place.

» La table était de vingt couverts ; nous n’étions que huit, y compris sa belle-fille et son frère. Bonaparte était de mauvaise humeur ; il ne parla qu’à la fin du repas et causa sur l’Italie. Il mange très-vite et beaucoup, surtout de la pâtisserie. Les mets étaient simples, mais délicieusement accommodés. Il n’y a qu’un service composé de dix plats ; il est relevé par le dessert. On n’a été que dix-huit minutes à table. Bonaparte est servi par deux jeunes mamelouks et par deux petits Abyssiniens. Il n’est pas vrai qu’il ne mange que des plats pour lui seul apprêtés. Il a mangé entres autres d’un pâté aux champignons, dont j’ai eu ma bonne part ; car tu sais que je les aime.

» Il boit peu de vin et le boit pur ; il se lève dès qu’il a fini son dessert. On repassa dans le salon. Il me dit quelques mots sur la situation du régiment, tandis que nous prenions le café, et repassa de suite dans son cabinet de travail ; le tout fut une affaire de vingt-cinq à trente minutes. J’allai de là voir à Feydeau les Deux Journées, charmant opéra. L’orchestre est meilleur que jamais. Je n’ai pas encore été à l’Opéra. Je suis très-occupé de plaisirs, et trouve le temps trop court pour y suffire. Je pense qu’à mon retour on ne pourra pas me faire le compliment d’être engraissé.

» Doiny me donne des leçons de guitare. Quel charmant talent que celui de cet artiste ! Je te quitte pour