Page:Véron - Mémoires d’un bourgeois de Paris, tome 1.djvu/117

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

disait-il, que pour aller soir et matin du boulevard Poissonnière au ministère de l’intérieur, et du ministère de l’intérieur au boulevard Poissonnière : je veux décidément voyager à petites journées et voir quelques amis qui vivent en sages sur leurs terres. » Le voyage de mon ami Rosman devait durer six mois ; quinze jours après son départ, je le retrouve assis au pied d’un arbre des Tuileries ; dans son tour de France, il n’avait pu dépasser les limites du département de la Seine-Inférieure, et il n’avait essayé que de l’hospitalité amicale d’un ancien camarade de bureau.

Cet ancien camarade s’était facilement accoutumé à la vie de province ; mais voici pourquoi ! Ce vieil employé ne se servait guère du papier du ministère que pour écrire des comédies ; une seule de ses comédies fut représentée à l’Odéon avec une espèce de succès, et il en eut autant de joie que d’orgueil. Solitaire, il pouvait, à la campagne, se livrer à son aise à sa passion du théâtre, et brocher tout son soûl du Picard, de l’Andrieux ou du Colin d’Harleville.

Rosman arrive chez son ami ; c’est la retraite d’un sage ! Une servante et un chien ; une habitation propre, et étroite, et un verger à réjouir le cœur ! Des fleurs bien portantes, fières sur leurs tiges ; des fruits succulents ; des vignes aux ceps vigoureux et aux grappes dorées ; de vieux arbres aux gais ombrages ; des légumes vivaces, le chou fastueux, qui tient trop de place, la chicorée jaunie et appétissante, et tout auprès de ces fleurs, de ces fruits, de ces arbres, de ces légumes, une de ces riches basses-cours, si industrieusement, si paternellement soignées en France, et que l’Angleterre