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spirituel et gai causeur, le remerciait de son invitation : « Mais, répondit le comte Roy, c’est vous qui m’obligez en l’acceptant. » Autrefois les grands seigneurs, pour se distraire, pour égayer leur table et leur maison, pouvaient compter sur l’assiduité des abbés coquets, lettrés et gourmands ; aujourd’hui chacun a ses affaires, sa famille, qui le réclament : on est l’obligé de tous ceux de nos amis qui ne nous refusent pas leur agréable compagnie.

J’ai formulé, en médecine, cette maxime pratique :

« On ne peut savoir si l’on a bien dîné que le lendemain matin. »

Si le lendemain vous vous éveillez la tête et l’esprit libres, la bouche fraîche, et avec la gaieté d’un appétit matinal, mettez votre carte chez votre amphitryon, ou plutôt serrez-lui la main ; donnez de justes éloges à son vrai dîner d’ami, et n’en refusez pas un second.

Louis XVIII fit un jour à un de ses gentilshommes de la chambre la question suivante : « M. le comte P…, aimez-vous les haricots ? — Sire, répondit le comte, je ne fais pas attention à ce que je mange. — Vous avez tort ; il faut faire attention à ce qu’on mange et à ce qu’on dit. »

On se souvient malgré soi de ces dîners exceptionnels où la bonne chère, les grands vins et la spirituelle gaieté se trouvaient de compagnie.

Je me souviens d’un de ces dîners que je fis chez la duchesse de Raguse ; elle eut pour tous ses convives la plus engageante amabilité, et elle nous fit goûter des