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notions de latin, et lui avait montré à lire et à écrire. Il aurait fait de même pour les deux filles, si elles n’eussent craint les quolibets de leurs compagnes, qui ne leur auraient certes pas pardonné cette éducation distinguée.

Offal Court n’était en somme qu’une grande ruche dont chaque alvéole ressemblait exactement à la chambre des Canty. On n’y voyait que rixes et scènes d’ivrognerie, on n’y entendait que tempêtes de gros mots et criailleries. On s’y rompait bras et jambes aussi communément qu’on y criait la faim.

Avec tout cela, Tom n’était pas malheureux. Il avait la vie dure, mais il n’en savait rien. C’était après tout la vie de tous les enfants d’Offal Court. Aussi la trouvait-il convenable et même confortable. Quand il rentrait, la nuit, les mains vides, il savait d’avance que son père l’accablerait de malédictions et de coups, et qu’aussitôt après son affreuse grand’mère renchérirait sur la correction en lui donnant triple rossée. Mais il savait aussi qu’au milieu des ténèbres, sa mère, mourant de faim, se glisserait à la dérobée jusqu’à lui avec une misérable croûte de pain qu’elle avait épargnée sur sa bouche, quoiqu’elle fût prise souvent en flagrant délit de désobéissance par son mari, qui alors la battait comme plâtre.

Pourtant Tom avait la vie assez gaie, surtout en été. Il ne mendiait que tout juste pour sauver sa peau, car les lois sur la mendicité étaient rigoureuses et les pénalités sévères. Aussi pouvait-il consacrer une bonne partie de son temps à écouter le brave Père André qui lui contait de vieilles et charmantes histoires, des légendes de géants et de fées, de nains et de génies, de châteaux enchantés, de rois et