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si on peut le croire à peu près éteint, fume du moins encore de toutes parts autour de nous.

Le fond de la dispute avait pour objet ce qu’on doit penser sur la grâce, la prédestination et le libre arbitre.

L’homme est libre. Entraîné par le sentiment qu’il a de sa propre détermination lorsqu’il agit, il ne résiste point à cette conviction intérieure : c’est d’après elle qu’il ose apprécier ses actions et celles des autres, qu’il approuve ou qu’il blâme, qu’il jouit du témoignage d’une conscience pure, ou qu’il est déchiré par ses remords ; c’est d’après elle qu’il n’est pas en lui de voir du même œil le traître qui l’assassine, et la pierre qui le blesse par sa chute. Mais comment l’homme est-il libre ? Comment cette liberté se concilie-t-elle avec l’influence des motifs sur la volonté, avec l’action universelle et continue de la cause première et toute-puissante par laquelle tout existe et chaque chose est ce qu’elle est, avec la connaissance certaine qu’a la Divinité non-seulement du présent et du passé, mais encore de l’avenir ? Ces questions difficiles ont été, dès les premiers pas de la philosophie, le tourment et l’écueil de la curiosité humaine.

Les différentes sectes de philosophes grecs se partagèrent entre les deux opinions opposées du libre arbitre et de la fatalité ; et dès lors on put observer que les partisans du système de la nécessité faisaient profession de la morale la plus rigide dans la spéculation et dans la pratique, comme si, à force de vertus et en portant l’austérité jusqu’à l’excès, ils avaient voulu expier envers la société les conséquences destructives de toute morale qu’on imputait à leur doctrine métaphysique.

Les hommes, même en soumettant leur raison à des dogmes qu’ils respectent comme enseignés immédiatement par la Divinité, n’ont pu renoncer à cette curiosité ardente et indiscrète qui les pousse à raisonner sur tout, à vouloir expliquer tout. La même diversité d’opinions, qui avait régné entre les philosophes de l’antiquité, a partagé les écoles des théologiens, et a formé dans toutes les religions des sectes rivales. Parmi les mahométans, les questions de la prédestination et du libre arbitre sont un des principaux points qui divisent les sectateurs d’Omar et ceux d’Ali. C’était chez les Juifs un des objets de dispute entre les pharisiens et les sadducéens.

Dans le christianisme, ce dogme de la vocation gratuite à la foi et au salut, si fortement inculqué par saint Paul comme un des principaux fondements sur lesquels s’appuie l’économie de la loi naturelle ; cette doctrine consacrée dans l’Église, que la sanctification est un don de Dieu, que les hommes ne peuvent rien sans son secours ; enfin tous les mystères de la prédestination et de la grâce, ont encore redoublé l’épaisseur du voile qui couvre ces profondeurs.

Cependant les premiers siècles du christianisme s’écoulèrent avant qu’il s’élevât, sur cette matière, des disputes assez vives pour troubler la paix de l’Église. Les discussions qu’occasionna la doctrine de Pelage furent même renfermées dans les bornes de l’Église d’Occident, et c’est sans doute par


    usage, à M. l’abbé Bossut, pour lequel il avait une amitié particulière. Ce savant a cru devoir en adopter quelques idées, et même quelques expressions, dans l’excellent Discours préliminaire qu’il a placé à la tête de l’édition des œuvres de Pascal, en 1779. C’est ainsi que les hommes supérieurs s’honorent mutuellement en s’entre-aidant, en se liant par une confraternité qui leur donne toujours quelques raisons de s’estimer l’un l’autre davantage et de se chérir de plus en plus. (Note de Dupont de Nemours.)