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de disposer du produit de leurs terres de la manière qui leur aurait paru la plus convenable pour leur intérêt.

    « Eût-il donc été besoin de contrainte pour exercer un acte de bienfaisance ?

    « Le vœu de la nation entière ; le suffrage unanime des magistrats, n’y eussent-ils pas concouru avec le zèle le plus empressé ?

    « Vous liriez, sire, dans tous les yeux, sûrs interprètes des cœurs, la reconnaissance et la joie.

    « Ce genre de satisfaction, si flatteur pour un bon roi, vous l’avez goûté dès les premiers moments de votre règne, et votre grande âme en a senti tout le prix.

    « Pourquoi faut-il qu’aujourd’hui une morne tristesse s’offre partout aux augustes regards de Votre Majesté ?

    « Si elle daigne les jeter sur le peuple, elle verra le peuple consterné.

    « Si elle les porte sur la capitale, elle verra la capitale en alarmes.

    « Si elle les tourne vers la noblesse, elle verra la noblesse plongée dans l’affliction.

    « Dans cette assemblée même où votre trône est environné de ceux que le sang, les dignités et l’honneur de votre confiance attachent plus particulièrement encore que le reste de vos sujets à votre personne sacrée, au bien de votre service, aux intérêts de votre gloire, elle ne peut méconnaître l’expression fidèle du sentiment général dont les âmes sont pénétrées.

    « Quel plus sûr témoignage peut attester à Votre Majesté l’impression que les édits adressés à votre parlement ont laissée dans les esprits ?

    « Celui concernant les corvées, accablant si on impose tout ce qui serait nécessaire, insuffisant si on ne l’impose pas, fait envisager, comme une suite indispensable, le défaut d’entretien des chemins, et conséquemment la perte entière du commerce.

    « Cet édit, par l’introduction d’un nouveau genre d’imposition perpétuelle et arbitraire sur les biens-fonds, porte un préjudice essentiel aux propriétés des pauvres comme des riches, et donne une nouvelle atteinte à la franchise naturelle de la noblesse et du clergé, dont les distinctions et les droits tiennent à la constitution de la monarchie.

    « Qu’il nous soit permis, sire, de supplier Votre Majesté de considérer que l’on ne peut reprocher à votre noblesse et au clergé de ne pas contribuer aux besoins de l’État. Ces deux premiers ordres de votre royaume, par des octrois volontaires dans le principe, ont fourni les plus grands secours, et, toujours animés du même zèle, ils contribuent directement aujourd’hui par la capitation, les vingtièmes, et indirectement par la taille que payent leurs fermiers, et par les autres droits dont sont chargées les consommations de toute espèce.

    « Enfin, cet édit ôte au royaume ce qui pourrait lui rester de ressource pour les besoins les plus pressants, en imposant en temps de paix, sans nécessité pour l’État, sans avantage pour les finances, une surcharge susceptible d’accroissements progressifs et arbitraires, dont le fardeau achèvera d’accabler ceux mêmes de vos sujets qu’il est dans l’intention de Votre Majesté de soulager.

    « La déclaration qui abroge, sans distinction, tous les règlements de police pour l’approvisionnement de votre capitale, met en péril les subsistances et la salubrité des aliments d’un peuple innombrable renfermé dans ses murs.

    « L’édit de suppression des jurandes rompt au même instant tous les liens de l’ordre établi pour les professions de commerçants et d’artisans.

    « Il laisse sans règle et sans frein une jeunesse turbulente et licencieuse qui, contenue à peine par la police publique, par la discipline intérieure des communautés et par l’autorité domestique des maîtres sur leurs compagnons, est capable de se porter à toutes sortes d’excès lorsqu’elle ne se verra plus surveillée d’aussi près, et qu’elle se croira indépendante.

    « Cet édit et les autres qui tiennent au même système augmentent encore, sans nécessité, le montant de la dette dont les finances sont chargées, et cette masse effrayante pourrait faire craindre à vos sujets que, contre la bonté du cœur de Votre