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§ LXXVII. — Ces deux évaluations sont indépendantes l’une de l’autre, et sont réglées par des principes tout différents.

Ces deux différentes appréciations ont moins de rapport et dépendent beaucoup moins l’une de l’autre qu’on ne serait tenté de le croire au premier coup d’œil.

L’argent pourrait être très-commun dans le commerce ordinaire, y avoir très-peu de valeur, répondre à une très-petite quantité de denrées, et l’intérêt de l’argent pourrait être en même temps très-haut.

Je suppose que, un million d’onces d’argent roulant dans le commerce, une once d’argent se donne au marché pour une mesure de blé ; je suppose qu’il survienne, de quelque manière que ce soit, dans l’État un second million d’onces d’argent, et que cette augmentation soit distribuée dans toutes les bourses suivant la même proportion que le premier million, en sorte que celui qui avait précédemment deux onces d’argent en ait maintenant quatre : l’argent, considéré comme masse de métal, diminuera certainement de prix, ou, ce qui est la même chose, les denrées seront payées plus cher, et il faudra, pour avoir la mesure de blé qu’on avait avec une once d’argent, beaucoup plus d’argent, et peut-être deux onces au lieu d’une.

Mais il ne s’ensuivra nullement de là que l’intérêt de l’argent baisse si tout cet argent est porté au marché et employé aux dépenses courantes de ceux qui le possèdent, comme l’était par supposition le premier million d’onces d’argent, car l’intérêt de l’argent ne baisse qu’autant qu’il y a plus d’argent à prêter, à proportion des besoins des emprunteurs, qu’il n’y en avait auparavant.

Or l’argent qu’on porte au marché n’est point à prêter : c’est l’argent mis en réserve, ce sont les capitaux accumulés qu’on prête, et bien loin que l’augmentation au marché, ou l’abaissement de son prix vis-à-vis des denrées dans le commerce ordinaire, entraîne infailliblement et par une liaison immédiate l’abaissement de l’intérêt de l’argent, il peut arriver au contraire que la cause même qui augmente la quantité de l’argent au marché et qui augmente le prix des autres denrées en baissant le prix de l’argent soit précisément celle qui augmente le loyer de l’argent ou le taux de l’intérêt.

En effet, je suppose pour un moment que tous les riches d’une nation, au lieu d’épargner sur leurs revenus ou sur leurs profits annuels, en dépensent la totalité[1] ; que non contents de dépenser

  1. Ce paragraphe me paraît exiger quelques observations, qui ne contredisent