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§ LXVIII. — Différents ordres de marchands. Tous ont cela de commun, qu’ils achètent pour revendre, et que leur trafic roule sur des avances qui doivent rentrer avec profit pour être de nouveau versées dans l’entreprise.

Depuis la revendeuse qui étale des herbes au marché, jusqu’à l’armateur de Nantes ou de Cadix, qui étend ses ventes et ses achats dans l’Inde et dans l’Amérique, la profession de marchand, ou le commerce proprement dit, se divise en une infinité de branches, et pour ainsi dire de degrés. Tel marchand se borne à s’approvisionner d’une ou de plusieurs sortes de denrées qu’il vend dans sa boutique à tous ceux qui se présentent. Tel autre va vendre certaines denrées dans le lieu où elles manquent, pour en rapporter les denrées qui y croissent et qui manquent dans le lieu d’où il est parti. L’un fait ses échanges de proche en proche, et par lui-même ; l’autre par le moyen de ses correspondants, et par le ministère des voituriers qu’il paye, envoie et fait venir d’une province dans une autre, d’un royaume dans un autre royaume, d’Europe en Asie, d’Asie en Europe. L’un vend ses marchandises par petites parties à chacun de ceux qui les consomment ; l’autre ne vend que de grosses quantités à la fois à d’autres marchands qui les revendent en détail aux consommateurs ; mais tous ont cela de commun qu’ils achètent pour revendre, et que leurs premiers achats sont une avance qui ne leur rentre qu’avec le temps. Elle doit leur rentrer comme celle des entrepreneurs de culture et de fabrique, non-seulement tout entière dans un certain terme pour être reversée dans de nouveaux achats, mais encore 1o avec un profit égal au revenu qu’ils pourraient acquérir avec leur capital sans aucun travail ; 2o avec le salaire et le prix de leur travail, de leurs risques, de leur industrie. Sans l’extrême vraisemblance de cette rentrée et de ces profits indispensables, aucun marchand n’entreprendrait le commerce ; sans sa réalisation, aucun ne pourrait le continuer : c’est d’après ce point de vue qu’il se règle dans ses achats, sur le calcul et la quantité du prix des choses qu’il peut espérer de vendre dans un certain temps. Le détailleur apprend par l’expérience, par l’événement d’essais bornés faits avec précaution, quelle est à peu près la quantité des besoins des consommateurs qu’il est à portée de fournir. Le négociant s’instruit par ses correspondants de l’abondance ou de la rareté et du prix des marchandises dans les différentes contrées où il étend son commerce ; il dirige ses spéculations en conséquence ; il envoie les marchandises du lieu où