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§ XXXIV. — Comment s’établit la valeur courante dans l’échange des marchandises.

Cependant il se trouve que plusieurs particuliers ont du vin à offrir à celui qui a du blé. Si l’un n’a voulu donner que quatre pintes pour un boisseau, le propriétaire du blé ne lui donnera pas son blé lorsqu’il saura qu’un autre lui donnera six pintes ou huit pour le même boisseau. Si le premier veut avoir du blé, il sera obligé de hausser le prix au niveau de celui qui offre davantage. Les vendeurs de vin profitent de leur côté de la concurrence entre les vendeurs de blé. Chacun ne se détermine à céder sa denrée qu’après avoir comparé les différentes offres qu’on lui fait de la denrée dont il a besoin, et donne la préférence à l’offre la plus forte. La valeur du blé et du vin n’est plus débattue entre deux seuls particuliers relativement à leurs besoins et à leurs facultés réciproques, elle se fixe par la balance des besoins et des facultés de la totalité des vendeurs de blé avec ceux de la totalité des vendeurs de vin. Car tel qui donnerait volontiers huit pintes de vin pour un boisseau de blé, n’en donnera que quatre lorsqu’il saura qu’un propriétaire de blé consent à donner deux boisseaux de blé pour huit pintes. Le prix mitoyen entre les différentes offres et les différentes demandes deviendra le prix courant auquel tous les acheteurs et les vendeurs se conformeront dans leurs échanges, et il sera vrai de dire que six pintes de vin seront pour tout le monde l’équivalent d’un boisseau de blé, si c’est là le prix mitoyen, jusqu’à ce que la diminution de l’offre d’un côté ou de la demande de l’autre fasse changer cette évaluation.

§ XXXV. — Le commerce donne à chaque marchandise une valeur courante relativement à chaque autre marchandise ; d’où il suit que toute marchandise est l’équivalent d’une certaine quantité de toute autre marchandise, et peut être regardée comme un gage qui la représente.

Le blé ce s’échange pas seulement contre le vin, mais contre tous les autres objets dont peuvent avoir besoin les propriétaires de blé, contre le bois, le cuir, la laine, le coton, etc. ; il en est de même du vin et de chaque denrée en particulier. Si un boisseau de blé est l’équivalent de six pintes de vin et qu’un mouton soit l’équivalent de trois boisseaux de blé, ce mouton sera l’équivalent de dix-huit pintes de vin. Celui qui, ayant du blé, aurait besoin de vin, pourrait sans inconvénient échanger son blé contre un mouton, afin de pouvoir ensuite échanger ce mouton contre le vin dont il a besoin.