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jeunesse je n’avais jamais cru la chose possible. Je me suis maladroitement laissé prendre au piège, et il ne me reste maintenant qu’à m’en tirer du mieux que je pourrai. J’ai toujours pensé que ce monde valait bien la peine qu’on y vécût, même sans amour. L’ambition n’est un livre fermé pour les femmes que parce qu’elles le veulent bien. Je ne vois pas ce qui s’oppose à ce que la femme d’un homme politique ne jouisse de sa haute position autant que lui. La fortune, le pouvoir, le rang, valent la peine d’être acquis ; du moins, c’est ce que semblent se dire tant de gens que nous voyons les poursuivre. Je ne compte pas courir après ; mais, si je les rencontre sur mon chemin, je les ramasserai fort probablement.

« Tout ce que je dis là vous fera horreur, je le sais parfaitement. Votre beau idéal ici-bas est une croûte de pain avec un cœur dévoué. Pour moi, je suis d’une trempe plus vulgaire. J’ai rencontré un cœur dévoué, et voyez ce que j’en ai fait !

« Vous allez sans doute me répondre. Je serais tentée de vous prier de n’en rien faire, si ce n’était que la pensée que vous me montrez de la froideur me serait plus pénible que je ne puis le dire. Je sais que vous m’écrirez, mais, de grâce, ne me conseillez pas, avec l’idée qu’une réconciliation est possible, de me soumettre à lui. Je ne dis que la plus stricte vérité en vous assurant que notre mariage n’est pas à souhaiter. Je reconnais le mérite de George, j’admets sa supériorité ; mais c’est ce mérite même, cette supériorité même qui fait que je ne suis pas la femme qui lui convient.