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vait-il pas bonne tête et bons bras ? Et les ayant, s’il n’osait, pour son amour, affronter le monde et ses fardeaux, c’est qu’il n’avait pas assez de cœur pour comprendre l’amour.

Adela se dit tout cela en se jetant sur le canapé les bras étendus, le visage caché dans les coussins ; elle se le dit, mais non en paroles, car aucun son ne sortit de sa bouche, mais ce fut le sens des pensées qui se pressèrent dans son esprit pendant qu’elle pleurait sur tout ce qu’elle avait aventuré et sur tout ce qu’elle avait perdu.

— Que n’aurais-je fait pour lui ? dit-elle tout à coup à haute voix en se relevant toute droite, la main appuyée fortement sur son cœur. Folle que j’étais, — folle, folle, folle !

Et la main toujours pressée sur le cœur, elle marcha en long et en large d’un pas rapide.

Oui, elle avait été folle selon la sagesse du monde. À quoi lui avaient servi tous les enseignements de la tante Pénélope, qui lui avait détaillé si correctement toutes les convenances de la vie de demoiselle, puisqu’ils n’avaient pas suffi pour mettre son cœur à l’abri de la première attaque ? Elle l’avait donné ce cœur, sans qu’on le lui eût demandé, elle l’avait livré tout entier, et maintenant on lui disait qu’on n’en avait que faire, et que, vu la position de ce monsieur, cela ne pouvait pas servir. Elle pouvait bien se dire folle ; mais lui, de quel nom devait-elle l’appeler ?

« Il est tout à fait impossible, vous savez, que je me marie jamais. » Il avait dit cela. Pourquoi ne pas