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bre domestique. En moins d’une minute, Arthur se trouva dans la bibliothèque et en présence du marquis, le nez rouge, les pieds gelés, les doigts morts. Le froid faisait claquer ses dents, et, lorsqu’il se débarrassa précipitamment de son paletot en entrant, il lui parut qu’il se séparait d’un ami précieux.

— Bonjour, monsieur Wilkinson, dit le marquis en se levant de sa chaise placée derrière une table à écrire, et en étendant le bout de ses doigts de façon à toucher ceux de son visiteur ; donnez-vous la peine de vous asseoir. Et Arthur s’assit — il n’avait pas le choix d’un autre siège — sur une chaise garnie en étoffe de crin noir et à dossier parfaitement droit, qui se trouvait placée sous une haute bibliothèque noire. Il était à une lieue du feu, mais il ne lui eût servi de rien de s’en trouver plus rapproché, le foyer étant construit de cette façon ingénieuse que nos pères adoptaient généralement, et qui semble avoir été imaginée dans le but de faire remonter toute la chaleur dans la cheminée.

Le marquis était grand et maigre et il avait les cheveux gris. Il n’avait, en réalité, que cinquante ans, mais on lui eût donné quinze ans de plus. À le voir, on reconnaissait un homme mécontent, morose et malheureux. Il était de ces gens qui, s’étant assez mal conduits envers le monde en général, sont intimement convaincus que celui-ci s’est conduit indignement envers eux. Il n’était pas dépourvu de bons instincts, et, dans ses rapports avec ses semblables, il s’était montré juste et loyal — sauf à l’égard de sa