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monde — le monde qu’elle connaissait et dont elle était connue — l’avait considérée comme fiancée, et voilà que l’amoureux était parti ! Il n’avait pas été congédié par elle : il était parti ! C’était bien plutôt lui qui l’avait congédiée, et cela sans trop de ménagements.

Pour être juste envers Caroline, il faut dire que ce n’était point ce chagrin-là qui lui brûlait le plus le cœur. Elle se redisait bien que c’était là sa souffrance, que c’était là sa plus grande douleur ; elle eût désiré qu’il en fût ainsi ; mais elle était plus humaine, plus tendrement humaine, plus femme qu’elle ne le supposait. Bertram l’avait quittée, et elle ne savait comment vivre sans lui. C’était là l’épine qui s’enfonçait dans son cœur de femme. Elle ne pourrait jamais plus lire dans ces yeux si profonds et si pensifs ! jamais plus s’appuyer sur ce bras ! jamais plus entendre l’accent de cette voix si pleine et si vibrante comme elle l’entendait jadis, alors qu’il lui prodiguait des paroles d’amour et de vérité ! Bertram avait bien des défauts, et elle y avait souvent pensé quand il lui avait appartenu, mais il avait aussi bien des qualités, et, maintenant qu’elle l’avait perdu, ce n’était plus qu’à ses qualités qu’elle pouvait penser.

Elle avait dit qu’il était parti pour toujours, et il ne lui avait pas été difficile de dire cela d’une voix calme à mademoiselle Baker. Rien de plus facile que la bravade. Le misérable qui va être pendu monte d’un pas léger à l’échafaud quand la foule le regarde. La femme qui perd tout ce que son cœur aime dira tout haut que cela lui est indifférent. Mais quand le malheureux con-