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pensait à son pauvre amour et à l’excès de prudence de celui qui aurait dû être son mari.

— Voyez-vous… vous ne me comprenez pas ; et pourtant ce que j’en dis, ce n’est point par égoïsme. Je ne voudrais me marier que dans l’espoir de rendre un homme heureux.

— Sans doute, dit Adela, aucune femme ne doit se marier sans avoir cet espoir.

— Il voudrait se marier tout de suite, quand nous n’avons pas ce qu’il nous faut pour vivre.

— Avec dix mille livres de rente ? dit Adela d’un ton de reproche.

— Que faire à Londres, avec dix mille livres de rente ? Si je consentais à ce qu’il veut, il serait las de moi au bout d’un an ou deux. Il serait le plus malheureux des hommes, — à moins toutefois que son cabinet et son club ne pussent suffire à le distraire de ses soucis ; son chez-lui certes n’y suffirait pas.

Adela compara la position de son amie à la sienne ; ses idées étaient tout autres : « S’il avait voulu se contenter de pommes de terre, s’était-elle écriée un jour, je m’estimerais heureuse d’en manger la pelure. » Mais elle ne parla pas de cela à Caroline. Elle savait combien leurs dispositions étaient différentes. Il se peut, après tout, que mademoiselle Waddington connaissait mieux qu’Adela le cœur humain.

— Non, je n’y consentirai pas ; je ne consentirai jamais à être la cause de son malheur et de sa misère. Alors il se fâchera, et nous nous brouillerons. Il est parfois bien dur, Adela, — bien dur.