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— Je ne m’attends pas à la gloire, et, quant à l’argent, je n’y songe pas, bien entendu. Mais j’aimerais à penser que mon livre a été lu par quelques personnes capables de l’apprécier. J’y ai mis le meilleur de mon temps, le meilleur de mon travail. Je ne puis m’empêcher de croire qu’il y a là quelque chose.

C’est ainsi que l’homme d’insuccès demande miséricorde.

Et l’homme de succès lui répondra sans un atome de miséricorde dans tout son être : — Mon cher Johnson, j’ai pour maxime qu’en ce monde tout homme obtient, enfin de compte, tout juste ce qu’il mérite…

— Milton a-t-il obtenu ce qu’il méritait ?

— Nous ne sommes plus au temps de Milton. Je ne voudrais pas vous blesser, mais, — vieux amis comme nous le sommes, — je ne me pardonnerais pas si je ne vous disais toute ma pensée. Rien de mieux que la poésie, mais vous ne pouvez pas en créer le goût chez le public, s’il n’existe pas. Aujourd’hui on se soucie d’Iphigénie comme de Colin-Tampon.

— Vous pensez donc que je ferais bien de changer de sujet ?

— À vous parler franchement, je pensé que vous devriez changer de métier. Vous en êtes à votre troisième essai, songez-y. Je ne doute pas que tout cela n’ait été très-bien dans son genre, mais, si cela plaisait aux gens, ils s’en seraient bien aperçus depuis le temps. Vox populi, vox Dei : voilà ma devise ; — je ne me fie pas à mon propre jugement, je m’en remets à celui du public. Si vous m’en croyez, vous planterez